Roman : Carnet d'esquisses. 1999 (11)

CARNET D'ESQUISSES - 1999

Partie 11

jeudi 14

        Plus d'un mois qu'il est... j'ai l'impression d'aller bien, mes journées connaissent un rythme bien marqué ; il n'y a que très peu de moments finalement pendant lesquels je ne sais pas quoi faire. Pourtant, de l'extérieur, je sais bien l'impression que je laisse, je parais égaré, rêveur... paraître... dans ce monde d'ombres, de silhouettes inconnues, de regards non soutenus, de frôlements hâtifs... paraître n'a rien de surprenant, l'être si retranché, si lointain, que le paraître l'emporte, communications sur des réseaux, excitations sexuelles télévisuelles, procuration, absentéisme, figurations, hypocrisies, surface, glace, sans tain... Pourquoi énumérer tout ça ce matin ? Les manques dominent le mien d'être, ça crève les yeux...

       Quand j'ai emménagé à Saint Cyprien, Nico était toujours là, le soir surtout, je le voyais préparer les oeufs brouillés, s'excuser du maigre repas qu'il me proposait pendant nos pauses. J'étais seul, lui travaillait à Angoulême, mais il était là, le paysage que nous regardions souvent depuis le balcon était le trait d'union entre son absence et sa présence, les nuages aux mille visages attendaient nos yeux, et quand seul dans son appartement que j'avais repris, je les regardais, dans un vague sans pareil, je sentais Nico à mes côtés, en train de chercher ses mots pour décrire ce qu'il ressentait devant ces mille visages.

         Quand les cafards se carapataient sous l'évier, je sentais Nico à mes côtés, je comprenais ce qu'il avait vécu avant moi dans cet appartement insalubre, j'étais Nico, avec six ou dix mois de retard.

         Quand les voisins d'en face hurlaient tous les jeudis dans la nuit, je ne cessais de me retourner dans le lit, à la recherche du sommeil, comme Nico, des mois avant, à la recherche du sommeil, à sa recherche.