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Sine linea
28 juin 2017

L'Homme qui plantait les arbres, Giono (16)

     En 1933, il reçut la visite d’un garde forestier éberlué. Ce fonctionnaire lui intima l’ordre de ne pas faire de feu dehors, de peur de mettre en danger la croissance de cette forêt naturelle. C’était la première fois, lui dit cet homme naïf, qu’on voyait une forêt pousser toute seule. À cette époque, il allait planter des hêtres à douze kilomètres de sa maison. Pour s’éviter le trajet d’aller-retour - car il avait alors soixante-quinze ans - il envisageait de construire une cabane de pierre sur les lieux mêmes de ses plantations. Ce qu’il fit l’année d’après.

     En 1935, une véritable délégation administrative vint examiner la « forêt naturelle ». Il y avait un grand personnage des Eaux et Forêts, un député, des techniciens. On prononça beaucoup de paroles inutiles. On décida de faire quelque chose et, heureusement, on ne fit rien, sinon la seule chose utile : mettre la forêt sous la sauvegarde de l’État et interdire qu’on vienne y charbonner. Car il était impossible de n’être pas subjugué par la beauté de ces jeunes arbres en pleine santé. Et elle exerça son pouvoir de séduction sur le député lui-même.

     J’avais un ami parmi les capitaines forestiers qui était de la délégation. Je lui expliquai le mystère. Un jour de la semaine d’après, nous allâmes tous les deux à la recherche d’Elzéard Bouffier. Nous le trouvâmes en plein travail, à vingt kilomètres de l’endroit où avait eu lieu l’inspection.

     Ce capitaine forestier n’était pas mon ami pour rien. Il connaissait la valeur des choses. Il sut rester silencieux. J’offris les quelques œufs que j’avais apportés en présent. Nous partageâmes notre casse-croûte en trois et quelques heures passèrent dans la contemplation muette du paysage.

     Le côté d’où nous venions était couvert d’arbres de six à sept mètres de haut. Je me souvenais de l’aspect du pays en 1913 : le désert… Le travail paisible et régulier, l’air vif des hauteurs, la frugalité et surtout la sérénité de l’âme avaient donné à ce vieillard une santé presque solennelle. C’était un athlète de Dieu. Je me demandais combien d’hectares il allait encore couvrir d’arbres.

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