heure d'hiver
c'est dommage qu'on meure à la fin
il y a tellement de choses à voir
à détester aimer
je rentre d'une soirée trop arrosée
l'heure en a profité pour changer en douce
je me suis essuyé avec un tapis de bain dans une douche
d'où on se demandait si l'eau coulait vraiment du pommeau économe
dans une salle de bain comme japonaise
où j'étais sans savoir
rien que pour ça
j'ai bien fait de vivre jusqu'ici
je me souviens par le plus grand hasard que j'ai une machine à étendre
s'il y avait pas eu ça
je serais pas rentré
pourquoi se foutre entre quatre murs quand la ville est là
quand les cinémas et les femmes vous ouvrent les bras et le reste
je rentre
la culture dans la radio
j'en apprends de bonnes sur Luther
l'origine de son nom
j'entends davantage un rapport à la matrice utérine qu'à la Lotharie
ou encore la liberté ou que sais-je
otarie utérus hystérie le th de Thuringe
rien à foutre des interprétations des noms à la Rey
je roule et je vois sa tête de nœud au Luther par le vieux Cranach
ça réussirait presque à me dégriser ce cauchemar visuel
du linge de partout
l'ancien sec sur le portant
le nouveau presque moisi
j'ai pas assez de portes pour suspendre toutes ses peaux
je meurs d'ennui à écouter le chef de file des sénateurs à sur les ondes
alors pour relancer ma vie et ma prose
on retourne au bon vieux duo de dieux
Diz'n Bird au Carnegie Hall
avec ça je suis tranquille pour des heures
ma pensée pourrie peut se déployer
j'ai assez de portes pour l'étendre m'étendre
je chie le vin
une odeur de vigne et de moûts
je coule aux toilettes
me rêvant apyrène
une vie sans pépins ce serait pas mal
je pense au vieux Buk avec ses merdes à la bière
autres pourritures nobles
je me vide comme la machine à laver juste avant moi
je rêve de penser à rien
luxe jamais atteint
à inachever le roman comme Aragon
je trône et là là là
entre les moutons de poussière et les rouleaux vides
surnage là un vieux 10/18
un détail d'un tableau de Hopper
Night hawks
je connais ce tableau oui
peint l'année de naissance de mes vieux
je paierais cher pour le voir à New-York
je l'ai oublié ce bouquin
pas lu
acheté une misère chez mon ami libraire avec d'autres perles
Goffette Buzzati
il a pris la poussière
il m'attendait après mes fuites
pendant elles
que faire d'autre
obligé de l'ouvrir
rien d'autre dans la vie
l'ouvrir la fermer je l'ouvre
les vannes le cul le livre
j'entends les os de mon cerveau se resserrer
c'est pour ça que je bois
tout se remet en place
comme si tout avait une place
je suis neuf chaque matin malade
les immeubles sont mes châteaux
mes pensées justes
mes mains cassées et bleues d'avoir pété tous les rétroviseurs des bagnoles croisées
je hais regarder en arrière
voir si on est toujours vivants au lieu de vivre
j'ouvre tout donc
livre cul tête
et là je pleure enfin
pleurs de tant de beautés condensées dans les pages de cet enfoiré de Brautigan
comme s'il les balançait au hasard le salaud
sans y toucher
un génie de l'improviste
alors que moi pour accoucher de quelques misérables définitions quotidiennes de la poésie
sur mon blog à la con en forme de rétroviseur
sine linea
je meurs meurs dix ffffffffffois par nuit
lui là mine de rien
il rigole au sublime
je revois son corps retrouvé des semaines après
son deuxième trou de balle
on se réclame de lui
à travers les cercles
mais il était là
bien seul
bourré
après avoir raccroché de Marcia
là comme moi
je le vois
je vois le tableau des rôdeurs de Hopper
je nous sais faucons
mes seuls amis
mes compagnons de la grappe
Whitman Fante Tesich
entre les moutons et les rouleaux
là toujours
à pas vouloir que Babylone s'en aille
ultime rétroviseur Babylone
je pleure
dernières vannes à péter
les jazzmen balancent leurs merveilleuses boucles
je peux pas mourir encore avec tout ça
les rôdeurs
le tempo
les mots de Brautigan
"il fallait que je résiste un peu à Babylone ; assez longtemps pour trouver des balles"
trop tôt
je vais continuer encore pour la forme
pour tout péter
dissoudre
les régimes
tout balancer partout
à nous salir par habitude
à me laver dans des salles de bains inconnues
japonaises et zen
à remettre mes chemises de vieux et mes chaussettes qui suintent
continuer à écrire de la bande dessinée non dessinée non lue
des romans désespérants
je vais continuer encore un peu
embrassant les trous noirs
à écouter ma voix sans écho aucun
je sors vite
le livre la main
la musique s'est tue
remonter le pantalon
lancer autre chose vite
Monk
parfait
continuer les petits poèmes
les pauvres poèmes
les caresses perdues
les corps léchés
les heures changées
la pluie du dedans
les blagues de Gillepsie à Copenhague
tout s'est relancé
Art Blakey à la batterie
je risque rien
je vais continuer encore un peu
même si la faim me tabasse le ventre à moi aussi
je vais continuer à remplir et à vider tout ça
frigo cul livre tête
tout
la vie est un piston
continuer
j'écris au poète que je prends pour un père
je lui demande de m'envoyer encore ses poèmes
d'autres faces que la nord
même un grand silence m'irait
à la poursuite de ce qui remplace le sens
aux mains bleuies
aux nuits qui m'enveloppent de froid et de silence
quand mes pas figurent une avancée
une danse secrète des abeilles
je vais mettre en image La Chambre 11
seul
sans yeux pour lire
sans mains pour dessiner
pour la beauté de l'inutile
les tissus et les cellules se faneront
je laisserai la vie et la mort défaire
pas besoin d'intervenir entre elles
je suis mort déjà
alors je continue
c'est bien qu'on meure à la fin
c'est plus simple
il y a tellement de choses à aimer détester
je pense aux derniers mots de Dylan Thomas
"après 39 ans, c'est tout ce que j'ai fait"
je pense à l'humidité de ma pièce
aux linges sur les portes
la basse d'Al McKibbon maintient le morceau en l'air
je pense aux flaques des mots au seuil des portes
à dormir et à manger
me trouver l'alcôve et le havre pour quelques heures
reposer
seulement reposer