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Sine linea
12 mai 2018

Le Mal de terre, André de Richaud (1947) (2)

     Le hameau des Lointes-Bastides est un tas de petites maisons branlantes, au fond d'une gorge du Ventoux. Bien que les villages de Bedoin et de Sainte-Colombe ne soient pas très éloignés des Bastides, les gens de ces pays ne les connaissent pas. Les chemins qui y mènent sont tortueux et pleins d'herbes folles. Des pins et des chênes, poussés n'importe comment, en défendent l'accès, et ce n'est que par hasard qu'à travers les branches jamais coupées le voyageur peut apercevoir les maisons qui, épaule contre épaule, paraissent attendre la fin du monde. Jadis, ce village eut quelque importance. Une fontaine, d'un travail curieux, chante au milieu de la placette. C'est une pierre noire et ronde sur laquelle sont grossièrement gravés cinq signes du zodiaque. Pourquoi l'artisan n'a-t-il pas été plus loin ? Quatre sont les premiers symboles connus et le cinquième paraît être un chat. Une eau claire jaillit d'une ouverture carrée et les gens du pays l'appellent "la fontaine des lunatiques". Cette eau est enivrante et mousseuse. Une vieille église, mangée d'herbes folles et de lierre, dont la cloche n'a pas de rouille, quoiqu'elle ne serve plus depuis longtemps, forme le centre du pays. Les trois quarts des maisons sont en ruines et inhabitées. Une cinquantaine de paysans vivent là, dans la crasse et la paresse. Les jours d'été, la lumière du soleil y est épaisse comme le miel. Les nuits d'hiver, le ciel est, au-dessus des toits, léger et ridé par des souffles, pareil à un grand lac bleu. Du côté du couchant, de gros nuages rouges sont amarrés, qui dansent. Ces hommes sauvages sont oubliés là, loin de toutes les routes de la Provence, dans le silence et la solitude, enfoncés encore jusqu'à mi-corps dans une terre légendaire.

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