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Sine linea
3 juin 2018

ce jour, las

     Les maux de tête sont trop forts pour écrire quoique ce soit. A la place, je vais essayer de poursuivre le découpage de ma BD en cours, 51ème planche, même si la tâche se révèle ennuyeuse du fait de mon manque d'idées scénaristiquement valables. La poésie me prend parce qu'elle peut se déployer sur quelques heures, cela peut fonctionner. Mais écrire est au-delà de ces transports passagers, c'est véritablement échafauder d'autres mondes. Comme le dit Thierry Metz, je n'ai que quelques mouvances, je fouille dans mon poème "Face blanche vers le haut", que nous avons lu hier avec l'amie Christine, la citation exacte !

     "- Et l'écriture ?

     - Quelques feuillets, quelques brouillons. Les mouvements d'une main pour ne pas dire ses mouvances, mais lents et glaciaires, sans projet."

     Recopiant à nouveau l'extrait, je ressens la singularité de sa voix, l'unicité du ton, qu'il faut développer pour écrire.

     Je critique souvent plusieurs écrivains et poètes, envieux probablement de leur relative reconnaissance, une de mes cibles favorites étant Serge P., que j'ai croisé dans l'adolescence de mon écriture. L'esbrouffe, l'institutionalisation de la marge, des transcendances vaines, me sautaient déjà au visage. Je ne pouvais pas à l'époque réfléchir avec une aigreur envieuse, que le jeune âge n'avait pas pu inoculer déjà. Maintenant, je ne saurais nier, la vieillesse venant, la reconnaissance toujours lointaine, on ne peut se fier à mon goût et mes jugements en l'espèce.

     Être reconnu, c'est juste être entendu, validé par ceux qui pourraient avoir avec nous des vues communes, ou même à qui on pourrait amener un quelque chose qui leur manquerait. Je ne cherche pas de haute considération, dans tous les cas, l'écoute ne changera pas ma vie, seulement une complicité momentanée pour paraître un peu moins seul cinq minutes.

     Dans tous les cas, l'inconfort de ma situation d'humain restera une des sources noires de la naissance de mes mots, à la fois perdus, fous, trouvés, et lames en plaie. La scène, la publication, ne changeraient rien à cette inadaptation. J'y cours, comme à reculons, maladroitement. J'écris, j'enterre presque aussitôt. Je montre peu, peut-être sachant les faiblesses de mes textes, malgré quelques lumières et reflets fortuits et heureux.

     Je n'entame rien aujourd'hui, maux de tête, fatigue, soif et faim dessous.

     Dans ce vide, mille ébauches. Je revois danser les lettres portugaises du "Bureau de tabac" que je feuilletais hier à Ombres Blanches. Des univers contenus dans une langue inconnue, des puissances en signes. Christine et moi avons choisi un autre auteur, qu'on a cru Portugais, parce que classé dans cette section. Quand elle l'a offert à l'hôtesse de la soirée poétique, il s'est révélé être Espagnol... Pauvreté que le rayon poésie étrangère d'Ombres Blanches... pauvreté aussi grande que mon rapport aux langues, définitivement étrangères.

     Sur le pont Saint-Pierre hier, nous avons croisé la femme qui vivait dehors, avenue de la Gloire où j'habitais avant. Elle se penchait sur le pont, j'ai cru qu'elle allait se jeter dans la Garonne, mais non, l'inspiratrice de mes quelques poèmes regroupés dans la section "La femme du pont" de mon recueil "Renaître aux mains", que j'avais lu à la Cave Poésie il y a tout juste un an, n'a pas sauté. Elle semblait vider les fonds de ses bouteilles plastique dans le fleuve, aux eaux hautes et tumultueuses de ces pluies incessantes. Ses bouteilles de lessive je pense. Nous allions sur la rive gauche pour rejoindre la soirée poétique, et je croise une de mes muses entre ces deux rives. Je n'ai toujours pas eu le courage de lui donner mes poèmes, à elle, le centre...

     La barre de mon front se confond avec celles des brise-vue de la médiathèque. Elles m'empêchent de construire des phrases, d'aboutir à l'inévitable récit de notre petite prestation poétique de la veille. Je n'en ai pas la force, c'est heureux - pour mes non-lecteurs - pour moi. Pourtant ce n'est pas l'abus de l'alcool, nous n'avons presque rien bu.

     Je n'ai pas la force de scénariser non plus, peut-être pas non plus celle de marcher jusqu'au cinéma, crainte de m'y endormir...

     Lire Bordage me semble lourd aussi, malgré l'univers follement débordant qu'il propose, malgré notre discussion si riche, il y a ? 8, 10, 12 ans ? Mes élèves avaient été géniaux, lui surpris de notre accueil et de leur travail sur ses textes. C'était peu de temps après le décès de sa compagne je crois, il était passé par un long trou noir sans écriture, et avait repris, s'occupant je crois de ses deux garçons. Il me disait comment il tuait ses personnages ou les sauvait, son travail de fourmi, de titan, à sa table quotidiennement, et ses dix pages/jour. Il m'avait encouragé à écrire, mes BD, ma poésie, très proche, très ouvert. Merci encore Pierre.

     Je n'écrirais pas plus loin ce jour, en panne de corps, d'énergie... enterrons enterrons... (Michaux dirait "enfouissons")

     Pas la force de conduire, de marcher, de voir une amante, seule celle de m'endormir sous le bruit des balles de Roland Garros, et encore...

     Être encore un peu l'homme qui penche, entre celui qui dort et celui qui penche, de Metz et Perec, vivant quand même un peu en somme.

    Je tourne la tête, des étudiants partout, un silence, une concentration, c'est pour ça que je viens depuis toujours en bibliothèque, je me sens comme eux, même âge dedans. Les bacs de BD dans le dos, la statue de Riquet en face de moi, de dos. Les étudiants auront disparu une fois achevées leurs recherches, une fois atteint le grade visé, d'autres les remplaceront...      Je serai toujours là, un des seuls à être toujours là, dans vingt ans, ma recherche ne varie pas, les mots, la pensée, les mots à suivre, la phrase à chanter, la brise rendue, la voix intérieure à rompre. Toujours là.

 

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Commentaires
C
Bien entendu, quoi d'autre ?
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Sine linea
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