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Sine linea
18 novembre 2018

les panaches de vapeur

Tu te tournes et te retournes dans le lit. Tes yeux ne s'ouvrent vraiment que quand le café prend ton nez.

Tu te redresses et m'aperçois enfin.

Un mot grommelé, les syllabes se mettent en place.

 

Entièrement réveillée...

Embrassades pour sortir de la nuit de tes rêves.

 

 

Ton dernier songe remonte, tu courais dans une forêt dont tu ne pouvais t'extraire.

Puis, sans transition, tu me parles de mes mots, du poids de mes mots.

 

Et déjà au réveil encore peu assuré, tu penses à te confronter à tes pans de rêves, à courir à nouveau dans cette forêt d'enfance qui masque l'étang.

 

Tu te brûles presque le palais et la langue au café vite bu pour enfiler ta tenue colorée de course.

Je te regarde te vêtir. C'est comme si je n'y étais pas.

 

Tu te tournes vers moi en finissant de lasser ta basket, et me lances : "Tu continues ton roman ou tu viens courir avec nous ?"

 

Je te réponds lentement : "Tu sais bien que je ne cours plus. Oui, je vais continuer d'écrire."

 

Le croissant en bouche, tu quittes notre chambre, et je distingue mal tes mots d'entre tes lippées : "Tu me feras lire... à tout à l'heure !".

 

La porte de la chambre reste entrebâillée. J'entends tes pas, déjà une course, dans l'escalier. J'aime quand tu files...

Je retourne à ma table d'écriture sous la fenêtre. Le dernier poème est trop frais encore pour que je puisse le goûter.

Je trace un trait, date ma page, lève les yeux, comme si les idées et les mots se cueillaient sous le plafond. Ils s'arrêtent sur les bouquets séchés, posés depuis toujours sur le chapeau de ta vieille armoire familiale, là où tu m'as dit qu'autrefois ton lit s'étalait.

La cloche sonne huit heures. J'entends la porte d'entrée claquer.

 

De la fenêtre, je te vois lancer ta foulée. Je me souviens de nos courses. Je sais les battements de ton coeur, ta respiration cadencée et calibrée, tes muscles qui se mettent en branle.

 

Ton frère et ta fille sortent à leur tour, deuxième claquement de porte. Tu cours sur place pour les attendre, en sculptant de longs panaches de vapeur, avec ta bouche et tes bras que tu tournes comme des moulins dans la brume.

 

Vous disparaissez dans ce matin transparent de novembre qui semble vouloir vous givrer à votre tour.

 

Le rideau retombe, le poème s'entame entre les blancs du matin et du papier, encore des morceaux de phrases suspendues qui voudraient faire vers en s'alignant.

 

Non, je ne te lirai rien à ton retour, ce n'est pas un roman, juste des lignes de rien. Mon roman, je l'ai enterré, avec ma vie d'avant toi.

Je pense que la grande heure que tu passeras dans le bois vaporeux me suffira pour coucher un peu ce qui bruite en moi. 

Ne te perds pas près de l'étang de ta forêt intérieure, reviens-moi.

 

 

Quand le poème sera mûr, je t'en ferai lecture. Mais il te faudra attendre des jours, des mois, que les mots aient enfin trouvé leur bonne sente.

 

Ce sera un soir, la tête posée sur l'oreiller, je te verrai sourire et plisser des yeux. Tu n'en diras rien, ou tu relèveras des détails, sur la place du lit, sur l'armoire de ta grand-tante.

Les yeux sur mes lignes, entre les clins, je ne verrai peut-être pas fleurir une de tes émotions, que je sais à la fois fugaces et profondes.

 

Je poserai le carnet, m'allongerai à tes côtés et sans un mot, j'épouserai ton corps, oui, sans un mot, nul besoin.

 

 

 

 

 

 

 

 

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