Roman : Carnet d'esquisses. 1999 (9)

CARNET D'ESQUISSES - 1999

Partie 9

mardi 12 mai

     Ce matin, je l'imagine en lisant, dans son au-delà. Je ne vois pas ce qui l'entoure, juste ses yeux lire. Il ne peut plus dessiner, lire seulement. Ses mains sont coupées, ses moignons ne tournent pas les pages, cela s'opère tout seul, par sa volonté. Les pages tournent, il sourit de mes préoccupations d'être vivant, mes tracas l'amusent, le manque de sa personne le surprend, il n'aurait pas cru à une si forte absence, cela ne le peine pas, des sourires pleins de connaissance, des regards lointains.

     Sans ce papier pour écrire droit, je n'aurais pas entamé ces phrases.

     Dans son néant, si par miracle il tombait sur ces lignes, il ne les lirait pas longtemps, d'un coup d'oeil il saisirait mes buts, compatirait avec un entrain sympathique à mes interrogations et basta. De son vivant, il lisait peu, pourtant attiré par des livres intéressants et réflexifs, Hesse, Gibran, Camus. En-dehors des bandes dessinées bien sûr, qu'il avalait en une première lecture et qu'il admirait en une deuxième, troisième... Il appréciait Cosey sûrement pour les mêmes raisons que moi, linéarité, beauté... et puis on ne cesse d'y revenir, on cherche sa démarche, son efficacité...

     Les dessins de Nicolas restent dans des cartons, dans sa famille. En ce qui me concerne, j'ai refusé de conserver ceux de notre collaboration. Je ne sais pas à qui ils appartiennent, je les ai vus, sans lui, j'y ai reconnu certaines de mes phrases, je les habite un peu, si peu... Je me souviens avoir imaginé faire mourir un de nos deux personnages, il était contre, maintenant, il ne peut plus l'être, la BD non plus ; quelque part, j'ai obtenu ce que je voulais, la mort d'un des deux personnages !