d'été
Élégie d’été
(« l’écho seul fait choeur », Jacques Ellul)
je n’ai rien compris de ces jours d’été
et les coucher ici m’aidera peut-être
à démêler tous ces fils fous
pas de rimes pas de mètres
à peine des sens et des images
comme ces rêves imbriqués jusqu’aux matins
on a pris les chemins escarpés
j’étais chargé de toutes les angoisses
la bouche et le nez enfin libérés
j’ai noté les cols les montées les descentes
les orteils bleus les nuits fraîches
les moustiques sur les paupières
les amis sur le sentier
les vautours – vingt sur une carcasse de vache
leurs combats de bec et leur vol désordonné
l’ami disparu la nuit du refuge aux ronflements
le Valier à la place du deuxième Crabère
la tente gelée qui crisse au matin
les deux patous sous le refuge qui me chassaient
et l’un et l’autre loin des brebis et de mon chemin
la falaise impossible à franchir et la brume qui s’y accroche
le chemin entrevu enfin nommé « le chemin de la liberté »
je force la voie dans les nuages mon sac chute de cinquante mètres
son bruit quand il s’écrase et le silence ensuite
les chevaux noirs ont levé la tête
les brebis ont cherché qui avait chuté
puis tous ont brouté de plus belle
figé au coeur du rocher impossible de monter
impossible de descendre j’ai rampé sur le côté
pour retrouver les Z du chemin
impossible d’avancer après avoir tout ramassé
traverser quoi pour quoi jusqu’où
vivre jusqu’à quand pourquoi
les bergers m’ont pris en mains
de l’eau un café un téléphone
et le grand fou m’a accompagné jusqu’à la route
j’ai retrouvé les rues la ville les masques
et la famille ensuite comme si rien n’avait bougé
ni la rivière aux pieds ni les lettres du Scrabble
les mots des autres glissaient sur moi
les rubaïs de Nâzim Hikmet en écho de ceux de Khayyam
les folles projections de Liu Cixin aux manies d’Edogawa
et rien en moi ne s’engageait
aucune idée les mots enfouis
je n’étais bon qu’à regarder mes pieds dégonfler
la mer les bras l’océan j’y entre et en sors
sans que les gouttes restent sur ma peau
sans que les baisers s’encrent
la nuit tout s’emballe
je navigue entre les tranches des rêves
et je ne peux rien démêler sous la chaleur qui monte
j’ai toujours su qu’on ne s’appartenait pas
mais que tout file ainsi entre les doigts
sans valeur ni sens à ce point non c’est nouveau
pas une seule phrase qui monte aucun écho
à ravaler ma langue à la mâcher
comme un chewing-gum encore et encore