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Sine linea
22 mai 2011

De nouvelles en duels (2)

     Nous avons dû en écrire quatre ou cinq de nouvelles, en parallèle. A chaque fois, c'était la surprise : comment avait fait l'autre pour traiter le sujet par ce point de vue ?... J'avais lancé cette idée après une série de mails d'insultes, qu'il avait voulu inaugurer. Le principe en était simple: on s'insulte par mail, le premier qui craque a perdu ! J'ai appris à cette occasion qu'énormément d'internautes se livraient à ce drôle de jeu... J'ai senti que mon insulteur s'inquiétait de mes messages, pensait que je prenais son jeu au sérieux. Je le laissais déverser sur moi son lot d'insultes quotidien, mais en retour tentais un travail de sape, très peu sain ; sans l'insulter, je le mettais plus bas que terre, tentant une approche psychologique des plus détestables. Il préféra qu'on arrête, s'avouant vaincu, préférant conserver un ami... J'avais accepté le jeu étant sûrement titillé et suffisamment décalé pour être tenté par cette absurdité, mais aussi parce qu'il avait bien voulu que l'on s'écrive des historiettes après les insultes virtuelles. Depuis, au hasard des recherches je suis tombé sur ce genre de sites de "fight mail". Nous avons décidément beaucoup de temps et d'énergie à perdre... Mais, revenons à la nouvelle, entamée hier...


Samedi 10

Je suis sorti, malgré la peur. Il fallait que je vide mes pots. Il fallait que je voie, que je sache. J'ai fait le tour de tout le village : pas un seul survivant. J'ai erré toute la journée à crier, aucune réponse. Tous morts, avec sur leur tête l'horreur, la surprise, la souffrance. Plus rien ne fonctionne, électricité, gaz. Tout est soufflé, décomposé. Plus rien. Plus de route. Que des morts. Des cadavres, hommes, animaux, chevaux... J'en ai retourné quelques-uns, après j'ai arrêté ça !
Connaître ou non des morts ? Pure folie !

Pas un seul oiseau dans le ciel, pas de vent, pas de bruit, pas d'avion. Cuba n'est pas seul à être rayé de la carte, sinon, les autres armées seraient là. Plus d'Etats-Unis ? D'URSS ?

Je ne peux rien répondre à rien. Ça m'est égal. Plus de Maria plus de Nanita de Valder de moi !

Je récupère tout ce que je peux porter au bunker, à manger. Des boîtes. Je commence à me rationner, à prévoir, à compter, même si l'envie de vivre n'existe plus. Si je suis vivant ici, maintenant, d'autres le sont. Comment les bourreaux n'auraient-ils pas prévu leur survie ? Si moi j'ai pu m'enterrer vivant, comment ces enfoirés pourraient avoir disparu ?



Le quatrième mois, il se jugea prêt. Le temps variait à nouveau, après tous
ces jours identiques, sans vent, sans soleil ni pluie. Il se surprit un soir à rester
immobile sous les premières gouttes de pluie acide depuis sa fin du monde,
puis le lendemain, considérant le réveil climatique comme un bon présage, il
entama sa traversée. Il partit, cheminant le long de ses entrepôts, comme pour
les inscrire définitivement dans sa mémoire, étrangement dégagée, siphonnée.

Son bardas ne comprenait pas d'arme. Il progressait sans penser à la
possibilité d'une lutte, ni humaine -il était maintenant convaincu d'être unique,
ni animale -il n'en avait pas croisé, ni envisagé la permanence d'autres espèces.
Il avait tout dissimulé sans fondement, il ne connaissait rien. Il n'avait jamais
connu aucune chose. Quand il créait ses étales de boîtes, il avoisinait le néant.
Il craignait seulement d'autres explosions qui viendraient le soustraire, lui,
l'absurde témoin du vide.


Mardi 13

Je ne peux pas rester là, sortir, chercher à manger comme un chien, éviter de les regarder pourrir, me boucher le nez. Je vais partir. Demain.

Mercredi 14

J'ai marché toute la journée. Je veux rejoindre Santa Clara, les retrouver. J'ai hésité à prendre mes livres, je n'ai emporté que mon carnet. Il m'est impossible de boire l'eau, je dois trouver des bouteilles fermées. Je suis malade, quintes de toux que je ne peux arrêter.

A chaque pause, il vérifiait les fermetures de ses cachettes et buvait très peu
d'eau, qu'il ne possédait pas en quantité suffisante. Il recherchait avidement
les anciens magasins et grandes surfaces, souvent introuvables sous les pierres,
la terre et le béton entremêlés.

Vendredi 16

J'ai enterré Nani et Valder. Je l'ai trouvée très vite, dans la cour, avec ses camarades. Elle était allongée au-dessus de la marelle qu'elle avait tracée, la main crispée sur sa craie, en pleine décomposition. J'ai traîné le petit corps de ma Nanita de son école au collège de Valder. Je l'ai laissée dehors. Je l'ai
cherché deux heures, dans chacune des classes, que des morts, partout, au sol, ou encore sur leur chaise, raidis. Dans la salle des sciences, dans sa blouse. J'ai vomi tant que j'ai pu. Je l'ai posé avec sa soeur dans le parc et j'ai creusé comme j'ai pu. Dans le trou, ils se sont collés l'un à l'autre. J'ai cherché Maria, mais je ne l'ai pas trouvée. Pas au travail, nulle part. Après, j'ai cherché à manger. Pour vivre sûrement.


Au bout du troisième jour de marche, il avançait sans repères, avec les
seules ressources qu'il transportait. Les morts ne semblaient être devenus
qu'une des composantes des paysages qui l'environnaient. Il se parlait de plus
en plus, rompant ainsi cette absence inconcevable de bruits. Il avait rejoint une
ancienne route désormais défoncée, désespérément droite et infinie.

Samedi 17

J'ai dormi dans le parc. Je vais rester avec eux.

Vendredi 30

Pas mort, comprends pas.

Jeudi 6 décembre

Je ne sais pas combien j'ai perdu de poids. Pas moyen de mourir vite.


Les nourritures se raréfiaient. A chaque reste de station service et de
magasins, il entrait dans une rage folle s'il ne trouvait rien, puis poursuivait sa
route. Il se maudissait alors d'avoir quitté ses bunkers remplis de denrées mais
ne revenait pas sur ses pas. Même s'il n'était pas certain de sa direction, il
maintenait son cap, poussé par le désir inconscient d'apercevoir la côte. Des
panneaux arrachés lui indiquaient ce but, mais les distances ahurissantes le
déprimaient.


Samedi 8

Je ne pouvais plus rester au milieu des cadavres. Je suis parti hier, avec le peu que j'ai trouvé. Je fuis mais au ralenti. Je n'ai aucune force.

Mercredi 19

Pas un seul homme ! Seul, absurde. Dans un magasin défoncé, j'ai trouvé des graines. Je me souviendrai bien de mon grand-père, comment il faisait.

Mercredi 9 janvier 1963

Je suis increvable, ça doit être ça. Comme un animal. Mais je n'ai pas de prédateurs, tout est mort. Je respire un peu mieux. Toujours pas de vent, de pluie, rien. Je récolte les restes, la nourriture emballée, les médicaments aussi. Pour l'eau, je suis tombé sur une usine ! Des centaines de bouteilles pas éclatées
par miracle. Je reste là.


Au cinquième jour de son périple, il entrouvrit un camion, couché sur une
aire de stationnement. Il regorgeait de fruits qui débordaient des cageots
renversés. La pourriture les avait déformés, creusés et blanchis. Il passa ses
mains dans cette mélasse, au coeur des vers, avant de cracher son dégoût à
l'extérieur. Les cadavres lui remontaient également. Il y avait bien toujours une
vie en-dehors de la sienne, bactérienne et microscopique. Tout n'était pas
perdu.

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